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L'Afrique sous tous ses masques

Nicolas Rousseau, collectionneur passionné

14 septembre 2016

 

Pierre-Henri Béguin, président de la Société du Musée de l’Areuse, présente Nicolas Rousseau, professeur de philosophie au Lycée Jean-Piaget jusqu’il y a quelques semaines.

Une de ses passions est le XVIIIe siècle. Une autre passion, ce sont ses coups de cœur, soit Boudry, en tant que Conseiller général, et la poésie (il a publié un grand nombre de recueils de poésie). Il est né à Versailles, donc imprégné de la culture française.

Finalement, il cultive une fascination pour l’Afrique et l’Asie. Il a publié, entre autres, «Ma Vie va vers l’Asie». Mais en Afrique, il voit des merveilles dans les masques.





Nicolas Rousseau précise qu'il va tenter une analyse du regard occidental sur l’art africain du masque, présenter quelques masques de sa collection et se pencher sur la jungle du marché des masques africains.

Il souligne qu'il a acquis son expertise non pas en suivant des cours, mais sur le terrain. Depuis plus de vingt ans, il se passionne pour les masques africains. Il a effectué plusieurs voyages en Afrique. Il a contracté la «collectionnite», mal incurable. A ce jour, il possède plus de 200 masques et une foule d’autres objets.


Le masque en général (pas seulement africain)

En général, le masque n’est pas un simple déguisement ou un objet d’amusement. Il s’inscrit dans une pratique culturelle (mariages, funérailles, purifications). Sa confection obéit à des règles précises.

Le masque ne se contente pas de masquer la personnalité. Bien plutôt, il la démasque en la présentant dans une autre dimension (spirituelle, par exemple). Le masque agit aussi sur l’entourage. On vérifie son action sur la communauté.

Le masque africain

Il n’est en général porté que par les hommes, à l’exception du heaume de l’ethnie du Mendé. Les masques ont des tailles très différentes et peuvent atteindre plusieurs mètres de haut. Ils peuvent être mis sur le visage, portés sur la tête ou sur l’épaule.

En général, le masque est fabriqué en bois, avec parfois des rehaussements en métal. Rares sont les masques entièrement métalliques. On en trouve quelques-uns avec un revêtement de cuir.

Le masque est souvent anthropozoomorphe, mélange de traits humains et de traits d’animaux. Il obéit à des rituels particuliers et souvent secrets. Il n’est montré que lorsque le rite l’exige. Le masque est souvent dissimulé au public. Il est donc rare de les voir dans leur utilisation rituelle.

Contexte historique

Un certain intérêt pour les cultures africaines apparaît depuis la colonisation, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. A l'époque, on ne connaissait que les côtes, le reste du continent était appelé «terra incognita». L’art africain est considéré alors comme art de peu d’intérêt, fruste, peu travaillé. On n’imagine pas que la culture africaine ait une histoire.

Les masques suscitent l’intérêt des Européens seulement en tant qu’objet exotique. Rares sont les Occidentaux qui portent aux masques un intérêt réel et leur consacrent des études sérieuses.

La reconnaissance vient au XXe siècle. Le regard occidental sur l’art africain change. Les surréalistes ont joué un rôle important en voyant dans cet art une alternative intéressante. Parallèlement, l’ethnologie se développe comme science et se débarrasse de ses habitudes ethnocentriques. Des ethnologues de terrain vont se vouer à l’étude détaillée des spécificités africaines et des mouvements culturels de l’Afrique elle-même, par exemple la réclamation de la négritude, notamment par Senghor.



Masque Grebo, admiré notamment pas Picasso.

Parallèlement, l’art africain va attirer l’attention de collectionneurs et de marchands. Pour la Suisse, Barbier-Müller à Genève et les David à Zurich sont particulièrement actifs dans ce domaine.

Au cours du XXe siècle, l’art africain va passer du statut d’artisanat à celui d’art à part entière.

Le Louvre à Paris ouvre une section africaine. Le Musée du Quai Branly (consacré aux civilisations extra-européennes) est créé.

L’art africain, et en particulier celui du masque, va participer à la définition de l’art du XXe siècle. Il se détache de son contexte culturel. Il va être jugé pour ses qualités intrinsèques.



Masque Baoulé, très raffiné.

Les masques Baoulés sont considérés comme les plus parfaits, des masques «portraits» ou masques faciaux. Les yeux sont baissés en signe de respect. Ils sont sortis lors de danses accompagnées de chants. Le meilleur danseur a le privilège de porter ce masque. Il représente quelqu’un et la personne en question doit assister à la cérémonie.


Masque Fang avec un visage à peine esquissé.

 

Certains spécialistes apprécient les masques présentant des altérations (fissures, défauts), mais peu nombreux sont ceux qui ont apprécié un masque en faisant abstraction de sa fonction cultuelle, peu ont apprécié un masque avec notre regard.

La notion d’ancienneté est importante pour les Européens, mais pas pour les Africains.

L’artiste africain peut-il être comparé à nos artistes occidentaux? L’artiste africain obéit à des forces qui le dépassent.

 

Présentation de masques d'Afrique de l'ouest

Trois groupes culturels particuliers :

  • Zoomorphes = Ban-mâna (Bambara, Mali), Dogon
  • Anthropomorphes = Baoulé
  • Anthropozoomorphes = mélange de références humaines et animales

Chaque masque a sa fonction et son utilité.


Ban-mâna, masque sukura = Rite de passage pour les jeunes garçons, initiation. A son retour, il porte des symboles d’animaux (lion, hyène). Front proéminent, oreilles dressées, crête stylisée.

Ici, c'est la hyène qui est représentée.

Dogon = Sud-est du Mali. Les premiers masques Dogon remontent au XIe siècle. Les masques jouent un rôle important dans la culture Dogon. Certains masques ne sont sortis que tous les 60 ans.

Masque antilope et cheval, avec cosmogonique. Il incarnerait celui qui a été chargé de protéger le soleil.

Masques Sénoufos (petits masques métalliques), avec deux cornes: ils sont portés par des garçons lors de l’initiation, ou lors des funérailles pour séduire l’esprit du défunt, pour le faire sortir de la maison et éviter qu’il ne la hante.



A gauche, un autre masque Sénoufos.

 

A droite, un masque Dan.

Le marché

Le marché s’internationalise. Comme ce sont des objets rares et chers, il se fabrique des copies à la pelle. Il est ainsi difficile de s’assurer que ce sont des originaux.

L’identification pose un grand problème: pour être authentique, le masque doit correspondre aux normes esthétiques de son groupe et doit avoir été porté ou dansé. Il doit avoir un certain âge.

Pour un Africain, l’ancienneté est moins importante que sa sacralisation. Il faut qu’il ait une fonction sacrée.

Autre difficulté: les Africains ont parfois créé des doubles pour assurer la conservation en cas d’attaque des termites. Donc, lequel est «authentique»?

Quelques critères:

  • Les trous qui permettent de le fixer au visage ne doivent pas être trop réguliers.
  • Il doit y avoir une certaine patine sur le bois.
  • Un masque authentique doit être réalisé avec un sens de l’équilibre, de la symétrie.
  • Certains spécialistes se basent sur l’odeur du feu... mais on peut aussi mettre un masque récent très près du feu!!
  • Un signe de réparation peut être un signe d’authenticité, parce que si un Africain a réparé son masque, c'est qu’il y tenait.

Mais, il y a beaucoup de faux vieux. Et que penser des masques récents creusés dans un bois ancien?

Effet de mode: les Africains ont adapté leur art aux attentes des touristes en ajoutant des détails qui devraient leur plaire.

Conclusion

Au-delà de ces difficultés, le masque africain nous renvoie à des interrogations universelles d’esthétique, de morale et d’épistémologie.

Le masque africain existe-t-il par notre regard ou s’impose-t-il à notre regard?

Pendre un masque à son mur n’est pas le dépouiller de son regard: celui de son porteur et celui de son spectateur, puisqu’un masque est fait pour être montré dans des rites.

L’Afrique pâtit dans le domaine de l’art, comme dans d’autres domaines d'ailleurs. Nous autres, Occidentaux, profitons de la situation économique et politique, ainsi que de la pauvreté. L’Afrique se vide. Il est difficile de maintenir les pièces dans les lieux où elles devraient rester.

 
 
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© Musée de l'Areuse, Boudry, 2002
mise à jour: 14 Décembre, 2016