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Manger: un bonheur qui cache souvent des horreurs!

 

22 août 2007: Devant un Musée archicomble, Marc Treboux, chimiste cantonal, a levé un coin du voile sur ces scandales du monde agro-alimentaire qui ont défrayé la chronique ces dernières décennies.

Le Président, Pierre-Henri Béguin, relève le succès magnifique de cette veillée. Le Musée est trop petit. Plus de 170 personnes, quelques unes devant rester debout. Et malgré tous les efforts déployés, plusieurs personnes n'ont pas pu entrer, faute de place. A 20h15, il y avait encore quantité de public patient qui attendait sur le trottoir dans l'espoir de trouver un cm2 où poser ses pieds.

Le Musée de l'Areuse est très heureux d'accueillir dans le Musée Marc Treboux, chimiste cantonal. C'est une fête pour le Musée, un record absolu de participation à une de nos manifestations. Le Président remercie la presse présente ce soir au Musée.

Etre chimiste cantonal, c'est en fait un peu être l'ange gardien des consommateurs que nous sommes. Il y a des denrées alimentaires qui pourraient mettre en danger notre sécurité alimentaire: elles ne sont pas toujours aussi pures qu'on le croit. L'ange gardien surveille aussi les fraudes et les tromperies.


Monsieur Marc Treboux naît au 20ème siècle, dans la première moitié!!!

Nous allons assister à l'histoire des scandales de l'agro-alimentaire de 1960 à nos jours. Nous allons entendre parler d'OGM et de solutions autres pour assurer l'alimentation de la planète.

 

Marc Treboux pense que le titre trouvé par Pierre-Henri Béguin pour cette veillée - Manger: Un bonheur qui cache des horreurs - est très accrocheur. Ceci est peut-être à l'origine de la grande participation de ce soir. Et Pierre-Henri Béguin pourrait être engagé au Matin !


Marc Treboux relève pour commencer que le Président du Musée de l'Areuse a cité quelques thèmes qu'il pourrait aborder, mais qu'il a prévu d'en présenter d'autres!

En effet, de ces horreurs, on parle régulièrement, plusieurs fois par année. Ces derniers jours, la presse a relaté l'affaire des jouets chinois et du dentifrice à l'antigel. L'hiver passé, les biscuits à la cannelle qui contenaient trop de courmarine. Et les crevettes aux antibiotiques, les poulets à la dioxine, les vins autrichiens à l'antigel (comme quoi l'histoire se répète, pas avec les mêmes produits, mais cela facilite le boulot des chimistes!). En plus, la vache folle, la grippe aviaire et … les tommes neuchâteloises.

Serait-il dangereux de manger?
Oui, comme il est dangereux de vivre puisqu'on finit par en mourir! Mais ces dangers ne datent pas d'aujourd'hui.

  En 1886, sur 441 échantillons de vin analysés, seuls 273 n'étaient pas contestés: 99 étaient trop plâtrés, 91 contenaient des raisins secs ou de seconde cuvée et 17 étaient suspectés de falsification et autres dénominations.

Citation du Dr Otto Billetter, premier chimiste cantonal neuchâtelois


Les hommes des cavernes et les lacustres on dû apprendre à travers "d'essayé pas pu" ou "d'essayé trop tard" quelles plantes on pouvait cuire et consommer ... et les autres. Petit à petit, on a su manger avec peu de risques. Mais risque il y a toujours.

 
"Quand un homme a pris le matin, à son petit déjeuner, du lait conservé par l'aldéhyde formique, quand il a mangé à midi une tranche de jambon contenant du borax, accompagnée d'épinards verdis par du sulfate de cuivre, quand il a arrosé cela d'une demi-bouteille de vin fuchsiné ou plâtré à l'excès, et cela pendant vingt ans, comment voulez-vous que cet homme ait encore un estomac?"
Citation de Paul Brouardel, 1905


Le DDT et autres insecticides
La lutte contre les insectes est difficile pour les maraîchers. Peu de produits sont disponibles et tous sont extrêmement toxiques. En 1939, Paul-Hermann Müller a trouvé que le DDT avait des propriétés insecticides. Les essais avaient montré que ce produit n'était pas toxique pour l'homme. Fin des années 60, cela change. On se pose des questions sur l'utilisation des insecticides. Fin 1969, les Etats-Unis refusent l'importation de fromages suisses parce qu'ils contiennent du DDT. C'est le début de la recherche sur les pesticides dans les animaux en Suisse.

Le DDT est lipo-soluble, donc on le retrouvait dans les matières grasses du lait parce que les vaches broutaient de l'herbe arrosée de DDT. Et ce produit ne s'élimine pas. Ainsi, pendant des années, les vaches ont transmis à leurs veaux le DDT qu'elles avaient encore dans leur corps. Aujourd'hui encore, on trouve du DDT dans le lait maternel. La durée de vie de l'homme est longue et nous transportons encore du DDT dans nos matières grasses. Cela disparaît petit à petit, mais il faudra encore des générations pour que le DDT disparaisse totalement. On en trouve même encore dans la graisse de phoque sur la banquise!

Autre nouveauté des années 70 : les mycotoxines
Au Moyen-Age, on connaissait la danse de Saint-Gui. Cette maladie était provoquée par du seigle contaminé par l'ergot de seigle (une levure). En 1960, 100'000 dindes décèdent d'un coup en Grande-Bretagne. Ce n'est que plusieurs années plus tard qu'on a découvert une molécule, l'aflatoxine, qui est une des substances les plus cancérigènes que l'on connaisse. A la fin des années 70, on a découvert qu'on pouvait trouver ces fameuses toxines dans les aliments. A l'époque, personne ne se doutait qu'il pouvait y avoir des toxines aussi violentes dans des céréales moisies. On nourrissait les vaches laitières avec des tourteaux d'arachides … et on leur transmettait ces moisissures! Ce qui a été interdit depuis. On a trouvé des aflatoxines dans les figues en Turquie (depuis quelqu'un a remarqué qu'en passant les figues aux rayons UV, les figues contaminées devenaient fluorescentes; ainsi, les figues sont triées aujourd'hui), dans le fromage parfois. Aujourd'hui, nous avons des appareils sensibles, mais on n'en trouve qu'en quantité infime: 0,2 nanogramme dans 150 grammes de fromage, soit 400 millions de molécules susceptibles de provoquer un cancer, mais il en faudrait plusieurs multiples pour que le corps soit en danger.

Printemps 1981, épidémie en Espagne
20'000 de personnes souffrent de troubles du système nerveux, cécité, paralysie. 300 meurent rapidement. En tout, 2'500 morts en Espagne. Une des pires catastrophes de l'histoire des denrées alimentaires. D'où venait cette épidémie? Des industriels avaient tenté de repurifier de l'huile d'olive frelatée (huile qu'on avait dénaturée pour qu'elle ne puisse plus être utilisée dans l'alimentation) pour la vendre comme huile comestible. Tous les stocks ont été séquestrés. L'huile d'olive a été analysée dans le monde entier.

Aujourd'hui, nous ne sommes pas sûrs que cette épidémie soit vraiment due à cette huile. Cela n'a en tout cas jamais été prouvé en laboratoire. Les effets toxiques n'ont jamais pu être reproduits. Cela est resté un mystère, malgré les études faites. N'y avait-il pas une autre piste, une autre cause?

Même année, à Neuchâtel: catastrophe sans conséquences sur la santé des consommateurs à Fontainemelon
Du perchloréthylène utilisé pour dégraisser les pièces dans pratiquement toute l'horlogerie (en remplacement du benzène qui provoquait des cancers) a fui d'une cuve (quelques centaines de litres sont parties dans les égouts, sont descendu jusqu'à la Step de Savagnier via Cernier). En passant, les vapeurs sont remontées dans les caves de la fromagerie de Chézard. 35 tonnes de gruyère ont été contaminées et sont devenues en quelques heures impropres à la consommation. 35 tonnes, soit mille meules de gruyère. Qu'en faire? Première solution: on fait du fromage fondu en insérant, par exemple, une pièce contaminée toutes les 50 pièces et ni vu ni connu!. Deuxième solution: on fait du fromage fondu et on le donne en Afrique. Troisième solution: l'incinération. Tous les jours, les ouvriers de l'usine ont inhalé bien davantage que ce qui se trouvait dans ce fromage. Dès lors, a-t-on le droit de liquider du fromage? Finalement, ce fromage a été utilisé pour nourrir le bétail.

Début des années 80: Le Vacherin Mont-d'Or
On constate une augmentation sensible des cas de listériose en Suisse. Plus particulièrement en Suisse romande et encore plus particulièrement dans le canton de Vaud. 123 cas sont détectés par les médecins, 34 personnes décèdent. Le chimiste cantonal vaudois cherche désespérément avec des médecins où est la cause. On pense que c'est une denrée alimentaire. On ne connaît que peu la listériose. On ne savait pas la détecter et la lier aux cas de maladie (souvent des méningites ou des avortements spontanés). Les questions posées aux gens malades ont amené le chimiste à penser que le responsable était le persil parce que tous les malades avaient mangé du persil. C'est seulement en 1987, en automne, que les analyses du Vacherin Mont-d'Or montrent que ce produit est contaminé. Deux ans auparavant, on avait déjà trouvé de la salmonelle dans certains Vacherins Mont-d'Or. C'est ce qui a mis sur la piste. On en a trouvé chez pratiquement tous les affineurs. Cette bactérie est très difficile à éliminer: elle se développe au froid et elle est très résistante. Le 20.11.1987, le Conseil d'Etat vaudois décide l'interdiction du Vacherin Mont-d'Or, décision répercutée dans les autres cantons.

  En apprenant cette décision, Marc Treboux dit être descendu à la fromagerie Bill et avoir acheté le dernier vacherin encore en vente. Il ne pouvait résister au plaisir d'en manger encore un!  


Dès l'année suivante, la production a recommencé: contrôle analytique extrêmement lourd, changement de production. Aujourd'hui encore, tous les lots sont analysés avant d'être mis sur le marché. Le matériel est changé entre chaque lot. Le personnel change de vêtements entre chaque lot. C'est extrêmement lourd.

Et ce fromage n'a pas atteint aujourd'hui les tonnages qu'il atteignait à l'époque, même s'il est beaucoup plus connu maintenant!! En prenant un certain nombre de précautions, avec des règles d'hygiène strictes, on arrive à fabriquer des fromages au lait cru sans problème.

26 avril 1986: Tchernobyl
Le cœur de la centrale atomique entre en fusion. Tout s'emballe. L'usine explose à cause de la formation d'hydrogène. Des produits radioactifs s'échappent dans l'atmosphère. Quelques jours après, en Finlande, des signaux d'alarme se déclenchent dans une centrale nucléaire, mais pourtant il n'y a pas de fuite. C'était le premier signal de la pollution.

Tous les plans catastrophe élaborés dans les centrales nucléaires ont pu être testés en vrai et on a pu constater que tout n'était pas rose. On n'avait pas pensé que les équipements analytiques allaient saturer rapidement.

Quelques jours après, les Japonais exigeaient des Chocolats Suchard de certifier que le chocolat exporté au Japon n'était pas contaminé. Il a donc fallu analyser des quantités immenses de denrées, alors que les équipements n'étaient pas disponibles en quantité suffisante. En Allemagne, les maraîchers ne pouvaient plus vendre leurs légumes sur le marché, alors qu'en Alsace il n'y avait pas de problème pour les maraîchers!!

Et personne n'avait pensé aux eaux de citerne. Alors que dans notre canton, on trouve des sources un peu partout et des fermes qui ne sont pas dans le réseau d'alimentation cantonale qui ont des citernes. On savait que dans les sources, il faudrait attendre plusieurs semaines pour trouver de la contamination. Mais les citernes, c'est de l'eau immédiate et personne n'y avait pensé.

Les crédits débloqués ont permis d'acheter beaucoup d'équipements spécifiques, de construire des laboratoires très protégés un peu partout … qui n'ont jamais été utilisés et qu'on est en train de démanteler maintenant … En attendant le prochain grand pépin pour recommencer!! Des palettes entières de pastilles d'iode sont encore stockées, prêtes à être distribuées à la population … Heureusement, elles ont une bonne durée de vie!

Des nitrates dans les salades
Le nitrate est un constituant naturel de pratiquement toutes les plantes. C'est un composant naturel des plantes avec lequel l'humanité vit en harmonie depuis la nuit des temps. Potentiellement, ces nitrates peuvent se transformer en nitrites et devenir un peu plus toxiques sous l'effet de bactéries. Les nitrites qu'on retrouve dans les légumes conservés relativement longtemps ne sont pas très très toxiques. Mais les chercheurs ont trouvé que ces nitrites au contact des sucs gastriques devenaient cancérigènes. Les plantes cultivées normalement, en saison et en pleine terre, au soleil, ont des quantités normales de nitrates. Mais, cultivées à l'ombre dans une serre, en hiver et dans le brouillard, elles ont des concentrations de nitrates bien supérieures à la valeur limite fixée en Suisse. Les années de brouillard, on a dû détruire des quantités de salade! Dans les années 90, quand on a commencé à s'harmoniser avec les états européens, cette valeur limite a été abandonnée …

1988 : Du benzène dans l'eau minérale Perrier
Perrier avait commencé à s'implanter aux Etats-Unis. Ils avaient même réussi une grosse percée: 80% des eaux minérales importées aux US étaient détenues par Perrier. Catastrophe: des tests montrent que l'eau minérale Perrier présente des traces de benzène; on en a détecté dans 13 bouteilles. Des traces de 2 milliardièmes par bouteille. 160 millions de bouteilles sont détruites aux US, 280 millions dans le monde. Il a été finalement trouvé 2ppb de benzène dans 280 millions de bouteilles, soit ½ litre de benzène.

La France oblige Perrier à ne pas détruire cette eau sur place, mais à la réimporter en France … La quantité de benzène rejeté par les navires dans la mer est certainement plus importante.

Plusieurs millions de perte pour une erreur humaine: un ouvrier n'a pas changé le filtre qui devait retenir le benzène contenu naturellement dans le sous-sol où sont puisées les eaux Perrier …

Jambon-Pizza
Marc Treboux imaginait naïvement que sur sa pizza-jambon il y avait du jambon - peut-être pas de première qualité d'accord, peut-être de ce jambon reconstitué ok, mais du jambon.

Mais il s'est trompé! Grâce à un équipement d'analyse de l'ADN reçu dans les années 90 pour des analyses de biologie moléculaire, les chimistes ont pu déceler bien des fraudes. En fait, le jambon-pizza était une sorte de gros cervelas fait avec diverses viandes (poulet et autres viandes). C'était de la pâte moulée en saucisse qu'on débitait en rondelles. Un point aurait dû attirer notre attention: comment arriver à vendre du jambon à CHF 9.-- le kilo?

Ce type de fraude qui consiste à remplacer des viandes chères par des viandes bon marché, le poulet notamment, est courant.

Par exemple, un restaurateur neuchâtelois a commercialisé durant une saison environ 700 kg de chasse (chevreuil et cerf notamment), dont 500 kg d'antilope américaine! Cette viande n'est pas très très meilleur marché, mais 5 à 6 francs par kilo permettent déjà un gain intéressant.

Des tommes au lait de chèvre ... sur l'étiquette
Ces tommes étaient fabriquées dans une ferme où il n'y avait pas de chèvres. Le producteur avait expliqué que les consommateurs aiment bien acheter des tommes au lait de chèvre, mais qu'en fait ils n'aiment pas le goût du lait de chèvre. Lorsque Marc Treboux lui a expliqué que cela ne marchait pas comme ainsi, le producteur lui a demandé si les têtes de moine étaient bien fabriquées avec du lait de moine!!!

Les poissons frétillent aussi en eau trouble
Sur 55 échantillons de poissons prélevés à Genève, Vaud et Neuchâtel (collaboration intercantonale à laquelle le Jura va bientôt participer), 18 étaient faussement désignées, soit 30%. La fraude porte davantage sur des poissons chers (sole atlantique par exemple qui présente un rapport de prix de 1 à 4 avec la sole américaine).

Et les problèmes de langue n'arrangent rien:
En français, nous avons la limande-sole; ce poisson s'appelle "Limande" en allemand. Mais il y a en français un poisson qui s'appelle limande (en allemand pazifische Klische).
C'est très compliqué.
Mais, balayons devant notre porte! Que dire de notre féra, de notre palée et de notre bondelle qui sont en fait un seul et même poisson …

Le temps passe ...
Et Marc Treboux renonce à parler des vaches folles, du vin à l'antigel ou à l'alcool à brûler.

Il ne parlera pas non plus de la tomme neuchâteloise et pourtant ça a été une catastrophe pour le fromager et pour les victimes (3 morts et 2 avortements spontanés).

La course à l'alimentation bon marché fait des ravages
Comment trouver sur le marché des poulets à CHF 2.-- le kilo, de plus transportés depuis le Brésil ou la Chine, alors qu'il a fallu 2,5 kilos d'aliments pour les produire? Cette course au bon marché favorise la tricherie.

Les recherches de demain
Les outils modernes vont permettre de détecter beaucoup plus finement les problèmes. Aussi dans le domaine végétal.

Demain, on pourra peut-être déterminé le cépage des vins. S'il n'y a pas de coupage.

L'absinthe réhabilitée
Certes, ce n'était ni un scandale, ni une fraude. Pendant un siècle, on a interdit un fleuron de l'artisanat neuchâtelois. Si tout le monde est absolument convaincu que les raisons qui lui avaient valu sont interdiction n'étaient pas claires, personne ne souhaitait remuer le chat qui dort et refaire parler de ce produit. En 2002, un député fribourgeois a déposé une initiative parlementaire pour demander la libéralisation de l'absinthe. Ca a passé comme une lettre à la poste, sans aucune opposition.


Nous avons tous pris le risque de nous alimenter pendant des décennies et nous n'en sommes pas morts. Nous allons continuer, non seulement parce qu'il faut vivre, mais parce que nous y trouvons du plaisir.

Marc Treboux

   


Plein comme un oeuf, notre Musée!

Le public a la parole

  • Les principaux risques ne sont pas les additifs alimentaires, mais les produits étrangers et l'hygiène. Ces questions des additifs sont surveillées et sur-médiatisées dans les milieux des consommateurs.
  • Un paysan doit vacciner deux fois par année son bétail à cause des crottes de chiens.

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© Musée de l'Areuse, Boudry, 2002
mise à jour: 27 septembre, 2007