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Esthétique et mystères des outils anciens

 

3 mai 2006: Willy Haag de Bôle présente quelques pièces de son immense collection.

Pour présenter Willy Haag, Pierre-Henri Béguin utilise l'expression "vieux sage socratique"! Il ajoute: "nous avons jeté nos outils et lui il les a collectionnés".

Avec un accent de reconnaissance, il souligne que Willy Haag, en tant que député au Grand Conseil, a donné une voix à la culture.

Puis, il prétend que Willy Haag a apporté une tonne d'outils, mais il précise malicieusement "mesurée à l'aune de mon admiration".

 

 

En guise d'introduction dans le sujet de la soirée, Willy Haag inventorie les sources d'information à disposition dans le domaine des outils, afin de détecter à quoi ils servent, de quand ils datent et comment ils se nomment:

 
  • Les musées (le Musée de l'Areuse par exemple qui renferme dans ses collections quelques outils rares et intéressants)
  • Les livres spécialisés, tel que le Grand Livre de l'Outil
  • Les catalogues anciens des quincaillers, dans lesquels on trouve les noms et les formes d'outils totalement oubliés aujourd'hui
  • Et surtout, l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert (Diderot, écrivain et philosophe, et d'Alembert, mathématicien et scientifique. Cette encyclopédie recense toutes les activités humaines et représente un travail de 20 ans. Il y a 22 volumes de textes (72'000 articles) et 13 volumes (3'000 gravures) de gravures sur cuivre (la photo n'existait pas).
Mais, pour en connaître l'utilisation, la meilleure source sont les personnes âgées, voire très âgées, qui ont été témoins de l'utilisation des outils, de la pratique de vieux métiers ou qui étaient artisanes. Il est grand temps de leur poser des questions, souligne Willy Haag.
Pour l'anecdote, notre conférencier revient quelque peu sur l'Encyclopédie Diderot et d'Alembert. Donner la connaissance au peuple, c'était lui donner le pouvoir. Une encyclopédie était donc extrêmement dangereuse aux yeux de la royauté française et de l'Eglise. Diderot disait: "La connaissance vient de l'homme et non du Pape (donc de la Bible) ou du Roi". Le Roi Louis XV a refusé le privilège d'imprimer cette encyclopédie et le Pape Clément XII a ordonné la destruction de tous les exemplaires que des chrétiens possédaient et de les brûler sur la place publique. Le scandale va profiter à Neuchâtel: en 1769 a été fondée la Société Typographique de Neuchâtel, qui a, entre autres, imprimé la Bible d'Osterwald. Cette société va imprimer secrètement cette encyclopédie. Les exemplaires vont partir au Val-de-Travers et les paysans vont se transformer en contrebandiers. Ils vont transporter sur des cacolets les exemplaires de l'encyclopédie et les livrer en France, où ils seront vendus sous le manteau. Bien sûr, cela n'a pas plu au Roi qui a fait fermer la frontière. Cela fut un désastre économique pour le Val-de-Travers. Heureusement, il y avait les dentelles qui étaient vendues dans le monde entier et cela a compensé la contrebande d'encyclopédies !


Une des planches de l'Encyclopédie: outils pour l'ablation d'un sein cancéreux

L'artisanat et les artisans sont à la base de tous les arts. Imaginez la musique sans luthier ou sans fabricant d'instruments à vent! Dans tous les domaines, les artisans ont précédé l'art ou l'ont servi.

L'outil
C'est le prolongement de la main de l'homme. L'outil est à la base de l'évolution économique, sociale, technique et culturelle. Selon les plus récentes connaissances (mais cela change toujours), l'outil remonterait à notre ancêtre australopithèque, il y a 3 millions d'années. C'étaient des outils simples, taillés dans la pierre, fabriqués par l'homme. Mais il y a aussi des animaux qui ont utilisé des outils, par exemple des singes qui vont avec des baguettes effilées chercher les termites au fond de la termitière. Ou des dauphins femelles qui se collent des éponges sur le rostre (nez) pour ne pas se blesser au fond de la mer plein de coraux.
Chez l'homme, les outils les plus anciens sont le marteau et l'enclume: un gros caillou et un petit caillou et entre les deux la matière à travailler et à transformer. Le génie de l'homme est d'avoir sans cesse perfectionné ses outils, d'avoir créé des outils pour chaque geste et de les avoir adaptés à un geste ou une technique particulière.

L'esthétique
L'outil ancien était fabriqué à la main: il a donc une patine et une forme extraordinaire. Aujourd'hui, ils sont en plastique et n'ont plus aucun charme.
L'outil était personnel et était placé sous la protection de Dieu, gravé du nom de son propriétaire ou du monogramme du Christ.
L'esthétique dépend parfois de la richesse du pays où il a été fabriqué. Deux exemples:



Deux vilebrequins: l'un d'un paysan vaudois, l'autre anglais, en acajou, manche en ébène, laiton (il faut dire que les Anglais avaient des colonies, et donc des bois précieux!)


Trusquins: un suisse et un anglais, en palissandre
Mais parfois aussi de la richesse du personnage ou de la famille:
Les Touaregs utilisaient des marteaux (ou haches) pour casser les pains de sucre:


celui d'un pauvre


celui d'un riche, en partie en argent
(c'est-à-dire fait avec de vieilles monnaies)


Les manches

Le manche d'un outil est aussi extraordinaire. Pourquoi est-il long, pourquoi est-il courbe, pourquoi est-il cannelé?

Les manches des marteaux ont été adaptés au coup à donner, à la force, à la répétition du coup.

Autres exemples:

Les manches des haches de boucher sont cannelés, parce que le sang est glissant et si l'outil échappe des mains du boucher, cela peut être terrible.
La serpe bergamasque pour faire le petit bois et couper des branches. Le manche est en fer, avec des rondelles de cuir et au bout un petit crochet. Le crochet sert à retenir la serpe si elle vous échappe des mains et les rondelles de cuir à absorber la sueur.
La hache de sabotier a un manche avec une sorte de boule au bout pour compenser le poids.
Le marteau de ciseleur/orfèvre a aussi une boule au bout, faite pour avoir une bonne préhension et pour l'avoir bien dans la main alors que le marteau est très fin. Si l'orfèvre lâche l'outil au mauvais moment, c'est catastrophique sur une pièce en or.
Le marteau pour casser les pierres a un long manche (en fait une simple baguette de noisetier ou d'aulne verte), dont l'élasticité absorbe le coup et permet l'effort pendant plus longtemps (parce casser des cailloux avec un marteau cela suppose un travail du poignet terrible pour l'articulation.
La bisaiguë est un outil sans manche utilisé par le charpentier. Comme l'outil en métal est froid, on remplissait la douille de braises, puis on refermait avec un bouchon et ainsi le manche était tiède.

 

 

Les décorations
Quelques exemples de petites merveilles:


Rabot de 1787

Lumière d'un rabot (trou vers la lame)

Grenouille ou crapaud décorant un rabot, probablement d'origine coréenne.

 


Compas d'épaisseur allemand

Le plus petit rabot est utilisé par le luthier et s'appelle la noisette. Il a 2 cm de long et sert à travailler les tables des violons. Le plus grand est la colombe, rabot de tonnelier. Il mesure jusqu'à 2 mètres de long. Le rabot est placé à l'envers sur un trépied et on promène la pièce à raboter dessus. A noter qu'au Japon, on ne pousse pas le rabot, mais on le tire contre soi.

Les outils ont été décorés surtout aux 17-18e siècles. Seuls les compagnons décorent encore leurs outils.

   

Pérennité de la forme des outils à travers les âges
Scie de scieur de long : a 2 mètres de long. En Jordanie, Willy Haag a visité un château, en plein désert, construit en 713 après JC. Dans la cour intérieure, il y avait une fresque représentant tous les artisans qui avaient participé à la construction du château. Et là, le même modèle de scie qu'ici. L'outil n'a donc pas changé. Ces outils sont donc d'une telle perfection qu'il n'y a plus de raison d'en changer la forme.

Les exemples ne manquent pas: la "force", outil pour tondre les moutons. Celle apportée par Willy Haag a environ une centaine d'année, mais celle qui se trouve au Musée de l'Areuse a été trouvée dans une tombe romaine et a exactement la même forme.

   

Choix des matériaux
Dans le temps, les outils étaient en fer et la partie active était en acier parce que le fer est trop mou et l'acier trop cher pour en faire tout l'outil.
Sur le schéma ci-contre, on voit une "épaule de mouton", hache à équarrir de charpentier. Pour réussir cette prouesse d'ajouter de l'acier pour la partie active, il faut mettre la partie en fer dans une forge. Dans une autre forge, on met la partie en acier. Mais attention, si le fer est trop chaud, il fond. Si le fer et l'acier ne sont pas de la même température (meme couleur donnée par la chaleur), ils ne se soudent pas. Il fallait des ouvriers très spécialisés pour arriver à cette prouesse.

Epaule de mouton

   

La pièce maîtresse de la collection de Willy Haag
Cette enclume vient de la vallée de Delémont où il y avait des mines de fer à la surface du sol déjà exploitées par les Romains. Donc, il y avait le minerais, de l'eau et du bois dans les forêts pour les hauts-fourneaux. L'enclume pèse 90 kg. Deux trous carrés de chaque côté pour faire tourner cette enclume sur la forge. Faite de fer principalement, avec une table d'acier. Il faut mettre cette énorme masse de fer (environ 88 kg) sur une forge et la faire tourner pour que la chaleur soit partout la même. Et, sur une petite forge, mettre la plaque d'acier. Et lorsque les deux pièces ont la même couleur de rouge, mettre l'une sur l'autre, ce qui provoquait la fusion.


On pourrait croire voir un philosophe barbu, qui pense sous les colonnes d'un temple!
Mais, il ne faut pas oublier que le forgeron avait un statut spécial, un peu dangereux. Il travaille avec les forces du mal, avec les forces de l'enfer.
En fait, cette enclume a une forme de table pour mettre le travail du forgeron sous la protection de Dieu, à l'abri des mauvaises influences. Le personnage en bas, c'est le diable (il est en bas !). Quand le forgeron commençait son travail, il donnait un grand coup de marteau sur le nez du diable, ce qui explique le nez cassé de celui-ci!
 

Pour clore la soirée, le public avait été invité à apporter quelques outils dont il souhaitait apprendre l'origine, le nom ou l'utilisation. Willy Haag a ainsi pu se pencher, entre autres, sur:

  • une vrille d'horloger servant à faire des trous de quelques dixièmes de millimètres
  • une conscience, petit carré de cuir couvert d'une cotte de mailles, qui se mettait sur la poitrine pour se protéger lorsqu'on utilisait un vilebrequin pour percer de nombreux trous
Et, comme d'habitude, la soirée s'est terminée autour d'un poussegnon fort appétissant!

 


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© Musée de l'Areuse, Boudry, 2002
mise à jour: 26 mai, 2006